La dictature de la crédibilité

piege_de_cristal

Ceci est une reprise d’un article que j’avais écrit sur Senscritique alors que je n’avais pas de blog. Maintenant que j’en ai un, autant que je remette cet article à sa vraie place.

« Ce film n’est pas crédible »
« Le héros aurait dû mourir 10 fois »
« Une personne responsable n’aurait pas fait ça comme ça »
« La fille court en talons, ben voyons »

La crédibilité est devenu l’un des critères de qualité les plus importants aujourd’hui dans les œuvres de fiction. Un film qui contient un passage qui n’aurait jamais eu lieu dans le monde réel se trouve sanctionné. Il n’y a qu’à voir toutes les critiques à la façon de celles de l’Odieux Connard qui sont entièrement dédiées à l’énumération de tous les écarts à la réalité que présente un film. Une fois cette liste établie, le chroniqueur (je ne vise pas ici spécifiquement l’Odieux Connard) nous laisse conclure que le film est mauvais. Comme un prof qui corrigerait une dissertation en faisant comme seul bilan : « J’ai trouvé 20 fautes d’orthographe, c’est de la merde ton travail ». Bien sûr certains de ces articles ne se considèrent pas comme des critiques sérieuses, ce sont parfois de simples sketchs ou des moyens de nous rappeler que le cinéma reste du cinéma. Mais trop souvent ces articles sont pris au 1er degré et des gens se retrouvent à cracher sur des films qu’ils n’ont pas vu juste parce qu’on leur a fait une liste de choses qui n’allaient pas. Quand ils verront le film, il va leur être difficile de voir autre chose que des défauts qu’on leur a annoncé car leur point de vue sera biaisé par la promesse d’un nanar. Dur de rentrer dedans quand on attend l’arrivée des bêtises, surtout que beaucoup de personnes se délectent d’avoir des œuvres à huer comme lors des jeux du Cirque.

La crédibilité d’un film est un point délicat à gérer. Pour certains il faut que le film soit une transposition pure et simple du réel. S’il n’est pas comme dans la réalité, la personne sort du film et considère qu’il est nul, parce qu’elle n’est pas immergée. Car la crédibilité n’est finalement qu’un autre nom pour ce que recherche réellement le spectateur : l’immersion. Si l’on n’est pas immergé, alors on se désintéresse des enjeux du film car ils nous apparaissent factices. Pourquoi est-ce que je soutiendrais la quête du héros parti rencontrer son pote au Tibet s’il suffirait qu’il lui passe un coup de fil pour résoudre tous ses soucis? Ses exploits deviennent creux. D’où l’importance de l’immersion, quitte à ce que cela s’approche d’une forme de rejet du surréalisme.

Car l’immersion est parfois plus une contrainte qu’une aide au film. Parfois elle s’oppose à la mise en scène. Un exemple : un tueur pas spécialement musclé lève son couteau et réussit à démembrer sa victime attachée en un seul coup. Pour réussir ça, il faudrait avoir une sacrée force ou avoir une sacrée hache et ce n’est pas le cas de notre tueur. La réalité voudrait qu’il donne plusieurs coups pour arriver à accomplir son œuvre. C’est ce que la recherche de la crédibilité imposerait, mais est-ce ce dont le spectateur a besoin ? Est-ce qu’il a envie de se farcir ce genre de barbarie quand le réalisateur veut juste lui apprendre qu’un personnage a perdu un membre ? Pas vraiment, alors on raccourcit le passage pour la mise en scène, ça le rend plus impressionnant. Et ça ne pose de problème à personne pour une raison simple : ce choix n’a aucun impact scénaristique. Que l’on choisisse de privilégier le réalisme ou la mise en scène, le résultat scénaristique est le même. Ce n’est pas comme si les évènements de l’histoire étaient mal justifiés ou que le héros se sortait d’un piège d’une façon particulièrement stupide, décevant le spectateur. Et pourtant, nombreux sont ceux qui se plaignent quand même. Dans Jurassic World, le personnage principal féminin libère sciemment un dinosaure. Au lieu de s’enfuir immédiatement à toutes jambes comme le ferait n’importe qui, elle reste plantée devant la porte qui s’ouvre et qui va la laisser en proie au dino. Ce comportement est stupide en soi, mais comme elle s’en sort il n’a aucune conséquence. Et surtout ça permet de mettre un face à face entre elle et le dino, et en terme de mise en scène j’aimais bien ça. Les critiques ont préféré pester sur ce choix et sur la présence des talons hauts, justifiant ainsi leurs notes assassines (bon, il y a plein d’autres trucs qui vont pas trop). Le problème de ce genre de liberté est qu’elle ne fonctionne que si le spectateur a accepté le reste du film. Si on passe la 1ère moitié du film en étant insatisfait, c’est déjà foutu car on le prend en antipathie et on n’acceptera plus le reste. Comme ce collègue qu’on ne supporte pas dont on va détester toutes les blagues juste parce que c’est lui qui les a faites.

Il y a un cas très particulier qui divise beaucoup de gens : les films qui choisissent dès le départ de ne pas s’inscrire dans le réalisme et de faire n’importe quoi tant que c’est sympa. On peut évidemment citer la SF et la fantasy, les gens ont fini par comprendre que ces films se passaient dans des univers qui ne fonctionnent pas de la même façon que le notre. Mais il m’arrive de voir des gens critiquer un film de sabre chinois câblé en se plaignant que les lois de la gravité sont bafouées. Ben oui elles sont bafouées, mais une fois que l’on s’en rend compte (il ne faut pas longtemps), le mieux est de l’accepter et de se dire « Ok, dans ce monde les sabreurs volent ». Comme dans un cartoon. Mais réagir comme si c’était une erreur dans la réalisation ou une crétinerie, c’est stupide. Je retrouve aussi ce genre de situations avec les commentaires de films bollywoodiens. « C’est n’importe quoi cette baston ». « Eyh, pourquoi ils se mettent à chanter et à se retrouver entourés de figurants qui dansent ? ». « C’est vraiment un nanar improbable ». Non, c’est un film qui refuse de faire une restitution du monde réel parce qu’il est bien plus fun de montrer des danses et de l’action over the top. Comme dans Die Hard qui choisit de ne pas faire dans le réalisme. Et une fois qu’on l’a compris, que le film reste cohérent dans cette démarche et qu’il nous l’annonce dès le début, c’est un parti pris tout à fait respectable. On aime ou on n’aime pas, mais ne réagissez pas comme si c’était interdit par les lois du cinéma. Lire des gens parler de Die Hard 4 ou de Fast & Furious 7 en les prenant au 1er degré et en disant « C’est nul parce que c’est n’importe quoi », ça me chagrine. Comme si les réalisateurs pouvaient avoir fait ça par accident.

Trop de gens jouent les effarouchés sur le sujet de la crédibilité alors qu’on peut tenter de regarder au delà pour voir ce que ces choix apportent au film, que ce soit par symbolisme, par déconnade ou pour une simple question de rythme. L’immersion est au service du film et non l’inverse. Toutefois ne me faite pas dire ce que je n’ai pas dit : si ces écarts à la réalité ne sont pas justifiés correctement, s’ils brisent des règles qui semblaient établies jusque là au point qu’on ne sache plus comment fonctionne l’univers du film (« Comment il va faire l’agent secret ? … en faisant soudainement des bonds de 20 mètres ? Sérieusement ? »), si les actions des personnages n’ont aucune logique satisfaisante, alors c’est sûr que cela nuira grandement au film. Simplement je demanderai au spectateur de faire la part des choses entre ce qui relève de l’incompétence et ce qui relève du parti-pris.

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Je suis Thetchaff, créateur de fictions audio, majoritairement tourné vers le thriller. J'ai quelques histoires à vous raconter qui ne nécessiteront pas d'images, car le son s'avère être un outil bien assez puissant pour se suffire à lui-même.
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