« C’est drôle parce qu’en fait ils sont dans une fiction »
Attention, le vilain donneur de leçon que je suis va parler de ce qu’il y a de plus polémique au monde : l’humour *bruit de tonnerre*. Ce serait une bonne idée de proposer un vague rappel de ce qu’est cette source constante d’incompréhension avant de poursuivre, mais c’est casse-gueule comme tout alors ne me jetez pas de tomates parce que vous n’avez pas la même définition, c’est juste pour amorcer la suite. Pour résumer, ce qui fait rire c’est le décalage. Voilà, ça c’est fait, je peux passer à la suite. Ce dont je voudrais parler maintenant, c’est de l’humour méta en particulier dans les fictions et de la façon dont c’est mal utilisé.
Je ne parle pas ici de méta-humour (une blague qui fasse référence au fait que l’on soit dans une blague) mais d’humour concernant des références méta dans une fiction, principalement des blagues qui soulignent que l’on est dans une fiction voire que les intervenants en ont conscience. C’est souvent utilisé pour moquer les clichés fictionnels en les explicitant de façon ridicule dans la diégèse. C’est une forme d’humour qui fonctionne, mais comme toutes les blagues il faut qu’elle soit bien faite. Le Fossoyeur de Films avait déjà parlé dans sa vidéo sur Lego Batman du problème qu’il pouvait y avoir à faire ce que l’on dénonce, encore que j’ai trouvé que ça passait très bien pour ce film en particulier. Et si j’en parle c’est parce que ça se retrouve de plus en plus souvent dans les vidéos ou sagas mp3 sur Internet, mais de manière de moins en moins imaginative. Le collectif Golden Moustache fonctionne majoritairement là-dessus, sauf que leurs vidéos se concentrent sur un seul gag qui va se retrouver étiré jusqu’à plus soif au lieu d’être distillé à petites doses (comparez leur dernière vidéo L’Otage avec le même gag dans La Tour 2 contrôle infernale qui en fait un comique de répétition bien mieux dosé). Il y a surtout une gêne particulière qui vient sans doute de moi : au bout d’un moment, il vaut mieux passer à autre chose. On a fini par comprendre toute la différence qu’il y avait entre la réalité et les films. Il y a encore des bonnes blagues à faire sur le sujet, mais j’ai l’impression qu’Internet a la fâcheuse tendance à se contenter d’une énonciation des clichés en guise d’humour (cette vidéo est très représentative). Avec souvent une mise en scène qui est trop proche de ce qui se fait dans les œuvres moquées pour que la parodie devienne plus amusante : c’est la même chose, en plus pompeux et avec des acteurs qui n’essaient pas d’être crédibles parce que c’est du second degré et que donc on s’en fiche. Et encore, là je parle de vidéos dont le but tout entier est de faire rire par la parodie. On a aussi les fictions qui sont faites par des gens qui ont conscience de leurs défauts mais qui, plutôt que de les corriger, font semblant de les assumer dans un mea culpa aux relents de cache-misère (le fameux personnage qui signale que cette histoire n’a aucun sens ou que seul le manque de budget justifie une situation absurde). Il ne suffit pas de dire « Je sais que c’est un défaut » pour que ça ne devienne plus un défaut, ou alors il faut pousser l’absurde, détourner la situation, exploiter le cliché énoncé, trouver quelque chose de plus que de l’annoncer platement. Certes cet avis n’engage que moi et vous y voyez peut-être une finesse qui m’a échappé. Mais quand les films nous bombardent des mêmes scories par inconscience, je trouve dommage que des personnes plus éclairées nous les remettent sous le nez sans valeur ajoutée. Il y a des choses qui sont plus drôles quand on les évoque entre copains que quand on en fait toute une vidéo.
Là j’ai davantage parlé en introduction de parodie que de vraie référence méta. Je vais enfin en venir à la blague qui me lasse le plus : la blague de « À qui je parle ? Mais aux spectateurs voyons ! ». Avant de se demander pourquoi je ne trouve plus ça drôle, rappelons nous pourquoi c’était drôle un jour : parce que ça cassait un code, à savoir la notion de diégèse. On considère que les personnages d’une fiction vivent dans leur monde, les voir briser le 4e mur constituait une surprise et soulignait à quel point cette convention est arbitraire. On reconsidérait les limites de la diégèse et cette prise de conscience était ludique. Ça, c’était pour la découverte. Maintenant quel besoin y a-t-il de répéter cette blague ou de rappeler systématiquement que les personnages ne comprennent pas qu’il y en ait un qui s’adresse à une caméra invisible ? Cela peut se faire si l’on a des choses à ajouter sur le sujet. On peut aussi intégrer pleinement cette absence de 4e mur dans la diégèse, par exemple dans Deadpool ou bien dans les sagas mp3 qui font intervenir le narrateur comme un personnage omniscient qui communique avec les héros (exemple : Tarentule Platinome), ou simplement un narrateur qui s’adresse au public et peut se permettre toutes les blagues qu’il veut par son statut particulier. Ou même une histoire totalement méta où l’on suit implicitement quelqu’un qui crée sa fiction, comme dans l’excellente saga mp3 Les Avant-Tu-Riais de la SOCQATOA (attention, beaucoup de private jokes liées à une époque trouble de la sagasphère). Mais le danger d’une utilisation moins maîtrisée de ce dispositif est de fragiliser cette diégèse, de telle sorte qu’on ne sache plus à quel degré on doit le prendre et qu’on ne la prenne simplement plus au sérieux du tout. Le clin d’œil complice avec le public est possible, mais il y a des manières plus classes de le faire qu’en interrompant la fiction pour expliciter la démarche (« Pourquoi j’explique tout haut ce que je fais ? Pour que l’auditeur puisse comprendre »). Alors qu’on peut faire la même blague mais sans casser la diégèse en mentionnant l’existence d’un public (« Pourquoi il nous explique tout haut ce qu’il fait ? On n’est pas aveugle »). Un exemple de films qui font ça très bien est 21 Jump Street et sa suite 22 Jump Street, dans lesquels on a par exemple un discours sur la gestion du budget au sein de la police qui évoque en réalité celle des films eux-mêmes. C’est quand même plus élégant de faire ainsi appel à la compréhension du spectateur plutôt que de lui mâcher le travail par manque de confiance en son intelligence. Pire encore, il y a le cassage de 4e mur utilisé pour expliquer (argh) un effet que l’auteur n’assume pas. Exemple : un épisode se termine sur un cliffhanger. Mais l’auteur se sent obligé d’inclure un personnage qui se plaint « Oh non, un cliffhanger ! », et cette dérision casse quand même pas mal l’effet sans apporter un décalage assez savoureux pour compenser. Comme si c’était ridicule de vouloir mettre du cliffhanger au 1er degré et qu’il fallait vite pointer ce choix du doigt de peur que les copains se moquent de cette ambition déplacée.
Casser le 4e mur par humour est loin d’être un interdit. Je me suis marré devant les œuvres citées plus haut ainsi que d’autres (Sacré Graal, La cité de la peur, le jeu Kid Icarus Uprising, Last Action Hero etc…). J’ai également profité d’un usage non-humoristique qui renforce la mise en scène ou le propos d’un film, comme dans La montagne sacrée. Mais il faut que ce procédé soit réfléchi, qu’on se demande ce que ça apporte, en quoi ça fournit un décalage surprenant, plutôt que de céder à un simple effet de mode. C’est réjouissant de casser des conventions, mais s’acharner sur un code qui est déjà démoli ne revient qu’à en créer un nouveau et ne constitue donc plus un gag en soi. Il faut alors de la réflexion pour détourner cette nouvelle norme, sinon cela revient à faire une référence qui se limite à répéter une réplique connue (« Je suis ton père ») sans rien en faire : c’est pas que c’est pas drôle, c’est que c’est pas une blague.