C’est grave s’ils sont morts ?

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On dit toujours que les fictions sont politiques, et c’est parfaitement vrai. Même lorsque le scénario ou la réalisation tentent de montrer des comportements sans juger, ils reposent toujours sur des éléments considérés comme acquis que l’on ne remet pas en question. Tuer le bon roi pour prendre sa place par avidité et instaurer un régime de terreur, c’est pas bien. Faire preuve de générosité et de courage, c’est bien. Ce sont des notions qui sont rarement développées parce qu’elles sont censées aller de soi, mais elles donnent déjà une information sur le sens moral des scénaristes. Elles développent cette vision des choses et la rendent normale, acquise. Or cette vision est parfois pervertie par le besoin de finir l’histoire avec le ton voulu.

Mon premier problème vient de la vison de l’héroïsme. En soi c’est admirable d’être prêt à se battre pour les gens que l’on aime, d’aller au-delà de son confort pour une juste cause. Générosité, abnégation, tout ça. C’est surtout une façon de nous montrer des personnes qui se lancent dans des aventures passionnantes ou de se créer des modèles qui nous feront rêver, ce qui est très bien aussi. Mais pour représenter l’héroïsme le plus fort, les scénaristes ont la sale manie de pousser l’abnégation au sacrifice. Le héros ou l’héroïne accepte de mourir pour sauver tout le monde, parfois en représentant une figure christique parce que c’est un symbole facile. C’est beau, c’est noble. Mais exiger ça des autres ? Qu’ils meurent pour leurs confrères ? Ça serait ignoble à imposer. Et pourtant c’est ce que la figure du sacrifié implique. Les héros meurent pour sauver les autres, et les héros sont cools. Donc le sacrifice n’est plus seulement une bonne action mais une action cool.

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Arrête de m’embrasser et ne revient qu’avec ton bouclier ou sur ton bouclier

Prenez Mass Effect 3 : les morts y sont nombreuses pour représenter l’horreur de la guerre. Mais les personnages principaux ou secondaires ne peuvent pas tous mourir bêtement à cause d’une balle perdue comme n’importe quel troufion, ce serait une fin indigne. Quand ils ne se font pas tuer par un boss à venir qu’il faut iconiser ou par une erreur du joueur, ils meurent par sacrifice. Mais jamais ils ne seront rendus tristes par l’acte à accomplir, jamais ils ne repenseront à leur vie qui s’arrête, jamais ils n’auront de moment de faiblesse. Non, c’est indigne de héros. Ils le font en sifflotant tandis qu’ils accomplissent leur devoir (les joueurs savent de quel personnage je parle). Qu’est-ce que c’est classe quand même. Ça a l’air facile à accomplir vu comme ça, c’est quelque chose de cool. Et moi ça me débecte qu’on rende ça cool. Cela indique que notre vie est sacrifiable si c’est pour une plus grande cause et je ne supporte pas cette idéologie. Je ne supporte pas qu’on me refuse l’égoïsme de vivre. Et quand on voit les kamikazes, on se dit que cette idée ne profite pas au plus grand nombre.

Il y a une autre version du sacrifice qui m’horripile : celui qui sert d’accomplissement. Un personnage qui n’a jamais su réussir quoi que ce soit va enfin remplir son devoir par sa mort. Ça aussi on en trouve un exemple dans Mass Effect 3, avec un personnage qui souhaite faire honneur à son père malgré sa faiblesse au commandement. On nous dit ensuite qu’il est mort mais qu’il a accompli son devoir. Ouf, nous voilà rassuré que ce personnage ne finisse pas en bon à rien ! Le pire exemple c’est lorsque le personnage est un méchant qui fait ainsi sa rédemption. Parce que sinon il devra vivre aux côtés des gens qu’il a persécutés/torturés/massacrés et qui le haïront pour ça. Ça casserait le happy end en montrant les victimes revanchardes sous un jour peu flatteur. On ne peut pas laisser le personnage souffrir ainsi, c’est plus simple de le faire mourir. Mais de son propre choix hein, comme ça on montre qu’il est vraiment revenu du bon côté. Bon ça montre aussi qu’il est impossible de se racheter sans disparaître mais faut pas en demander trop.

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Lui encore il fait ça pour le symbole du père qui laisse vivre son fils, mais bon…

Quittons le domaine du sacrifice et partons sur un autre problème : la légitimité qu’a le gentil personnage à tuer des gens. Souvent la justification est simple : il tue des méchants pour les empêcher de faire des méchancetés. Mais certains réalisateurs mettent volontairement le doute à ce sujet comme Paul Verhoeven quand il fait Starship Troopers, faisant reconsidérer les actes des héros. C’est intéressant quand c’est bien fait, mais uniquement lorsque cette dénonciation est claire. Or elle passe généralement par une confiance dans le sens moral des spectateurs, et si ce dernier est déjà au même niveau que pour le réalisateur ou la réalisatrice alors cela revient à prêcher un converti. Par exemple j’ai vu comme beaucoup de gens le fascisme que présentait Starship Troopers mais qu’en est-il des personnes qui seraient susceptibles d’adhérer sérieusement à cette idéologie ? Elles vont voir leurs idéaux à l’écran sans forcément percevoir qu’ils sont censés être moqués et elles se conforteront dans leur position. C’est ce qui est arrivé avec Scarface. Le film devait faire la dénonciation d’un personnage grossier et brutal. La critique adore, le public aussi. Mais les gens que De Palma voulait sans doute éloigner de ce milieu en leur exposant une violence cruelle n’ont pas l’air d’avoir été horrifiés par cette dernière. Nombreux sont les gens qui vouent un culte à Tony Montana et qui voient sa mort comme une tragédie. Le film a beau avoir convaincu les critiques, il constitue un échec cinglant car il n’a porté son message qu’aux gens qui l’acceptaient avant même de voir le film, provoquant l’effet inverse chez les autres.

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La dénonciation

Nouveau cas assez particulier : la scène de l’Eglise dans le film Kingsman (attention petits spoilers). L’agent anglais charismatique joué par Colin Firth voit un pasteur raciste / homophobe / etc… prêcher un public du même niveau. Des gens charmants donc. Tout le monde subit alors une sorte de rayon qui les rend fous furieux et les mène à s’entretuer. Cela a donné naissance à une fameuse scène d’action qui en a revigoré plus d’un : c’est virtuose, appuyé par le titre Free Bird. Un grand moment. Oui mais voilà, on n’a pas assisté à une scène où un héros enverrait valdinguer des méchants : ce que l’on a vu, c’est un personnage perdre ses moyens et commettre un massacre par folie. Et associer ça à quelque chose de fun me dérange. On peut bien dire qu’il se défend, mais en fait il aurait très bien pu s’enfuir s’il n’avait pas été hypnotisé. On peut rétorquer que ces gens sont des connards et que c’est cathartique comme dans God Bless America, sauf que Colin Firth ne choisit pas son action, il subit. Le film le montre ensuite reprendre ses esprits, réaliser le carnage et s’opposer au méchant qui lui a fait perdre les pédales. Sauf que le public n’a pas retenu cette scène pour ça, il a retenu que cette bagarre était super cool parce que bien réalisée, bien chorégraphiée et avait un super morceau. Et moi j’étais gêné parce que j’avais l’impression que j’aurai dû aimer ça, qu’on me dit d’aimer ça, mais vu ce qu’il se passe réellement à l’écran je n’y arrive pas. Je vois une ode au massacre, la meilleure scène du film devient pour moi la pire.

Et pourtant il y a une œuvre qui a réussi l’exploit de combiner cette éclate avec le dégoût de quelqu’un qui a du sang sur les mains : c’est le jeu Hotline Miami. On incarne un individu lambda qui reçoit des coups de fil lui demandant de tuer tout le monde dans une zone dite, et il obéit sans se poser la moindre question. Le niveau commence et le jeu nous met dans un état d’esprit frénétique : déjà grâce à la musique, excellente, continue et hypnotique. Ensuite par le game design : enchaîner les meurtres forme un combo qui rapporte plus de points, le moindre coup de feu fait rappliquer tout le monde, l’infiltration est limitée. On est obligé de réagir très vite, on n’a pas le temps de se demander si ce que l’on fait est juste ou pas. On meurt vite, on revient tout aussi vite et on concentre toute son attention dans les réflexes. Mais une fois que le niveau est terminé, la musique s’arrête très brutalement et on doit sortir. Et soudain, dans ce calme nouveau on réalise ce qu’on vient de faire parce qu’on n’est plus du tout dans une optique de chercher des gens à tuer avant qu’ils ne nous tuent. On nous a enlevé le casque qui diffusait la musique qui nous conditionnait, on ne cherche plus les pixels représentant des méchants, on n’est plus en mode berserk. Et qu’est-ce qu’on voit ? Une gigantesque boucherie, et je vous jure que ça choque alors qu’on ne ressentait rien du tout au moment de la tuerie parce qu’on n’avait pas le temps de ressentir quoi que ce soit. Ça vous réveille d’un coup et ça vous fait reconsidérer ce que vous avez fait. Et pourtant le plaisir que vous avez ressenti ne s’envolera pas, il se renouvellera même lorsque votre personnage recevra son prochain coup de fil et qu’il obéira tout aussi sagement, comme n’importe quel joueur accomplira n’importe quelle horreur tant que les développeurs le lui demandent. Le tout sans nous faire oublier l’horreur de ce qu’on commet. C’est un authentique tour de force.

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Mais c’est dégueulasse, c’est moi qui ai fait ça ?

Un autre cas que je voudrais vous présenter est celui de la vengeance. Il y a des films qui assument que la quête du héros consistera à faire payer un méchant pour ses crimes. Il y a des films qui mettent en valeur le côté borné ou tragique que peut avoir cette quête (Kill Bill 1&2), voire qui présentent toute l’horreur qui sera engendrée au nom d’une vengeance qui n’offrira rien en retour (Old Boy et J’ai rencontré le Diable, qui m’ont inspiré pour Enchaînés). Mais il y a aussi des films qui veulent montrer un personnage qui ne doit pas se laisser aller à la vengeance. Cela pourrait être bien, sauf que ces films ont la très fâcheuse tendance à faire quand même mourir le méchant. Mais ce ne sera pas par la faute du personnage principal qui pourra ainsi garder sa conscience tranquille, parfois alors même que ce n’est pas dû à un renoncement mais à un échec de sa part (quelqu’un tue sa cible avant lui par exemple). C’est le cas dans le livre Millenium, l’auteur va laver les soupçons de meurtres pesant sur Lisbeth alors qu’elle a un vrai comportement de meurtrière et que seul le hasard l’a empêchée d’agir. Ou alors le héros renonce bien à tuer, mais quelqu’un s’en charge à sa place pour rétablir la justice. C’est extrêmement hypocrite et ça m’énerve. Trop peu d’œuvres ont le cran de laisser vivre le méchant, il faut toujours qu’il meure sinon ça manque d’une conclusion.

D’ailleurs certaines œuvres ont une manière bien à elles de dénoncer ces mises à mort : elles attirent la sympathie pour la personne qui subira cette vengeance. Par exemple cette personne se met à regretter son geste, le vengeur / la vengeresse renonce à tuer. Cela a le mérite de montrer que ces personnes sont capables de changer, mais c’est un peu comme si je voulais dénoncer la peine de mort en montrant le cas où des innocents en meurent : c’est sûr que si ces gens sont innocents il ne faut pas les tuer. Mais du coup les coupables ne rentrent pas dans ce cas de figure, donc pour eux on peut ? La vraie question était de savoir si c’est ok de tuer quelqu’un, qui que soit cette personne. C’est facile de dire que c’est pas bien dans le cas d’une gentille personne mais ça ne fait pas avancer le débat. On a aussi l’exemple du méchant qui a de la famille ou qui fait des bonnes actions pour compenser ses mauvaises : le tuer devient dérangeant non pas parce que ce serait se donner le droit de vie ou de mort sur un être humain, mais parce que ça aura des conséquences sur la vie d’autres gens. On s’en fiche de la vie de cette mauvaise personne, mais pensez à sa femme et ses gosses et soyez humains. Rah ces ordures qui fondent une famille pour se fournir des boucliers à bonne conscience ! Ou comment faire croire que l’on dénonce la vengeance alors qu’on ne dénonce que le mal fait aux innocents.

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Les voyous font toujours plaisir à l’inspecteur et n’ont pas de famille, alors c’est ok

Dernier exemple et on arrête : le héros rencontre la femme de sa vie (oui, toujours une femme), mais elle n’est pas célibataire. Quel malheur, une femme qui s’est trouvé un conjoint ! Impossible pour le héros de passer ses jours avec elle, ce serait de l’adultère. Heureusement, elle va larguer son conjoint « parce que ça faisait longtemps qu’on ne s’entendait plus, ça n’a rien à voir avec toi » (ça aurait été bien de le montrer avant que la drague ne commence, comme dans Carol). Ou mieux, c’est le compagnon qui la largue. La pauvre pleure toute les larmes de son corps, mais le spectateur n’est pas dupe : c’est un évènement heureux car le héros pourra quitter son célibat sans enfreindre les bonnes mœurs. On dira que c’est mignon parce que la fille a trouvé quelqu’un pour la consoler. Ou alors on soulignera que son ex était un connard et que c’était donc une erreur. Big Fish donne un exemple gratiné de cette situation, même que le malotru meurt misérablement après avoir perdu sa compagne (décidément, la mort est la solution à tout). Ça lui apprendra à se fiancer avec le futur crush d’Erwan McGregor. Vous pouvez penser que ça n’a que peu de rapport avec tout ce que j’ai mentionné plus haut, mais le problème est pourtant similaire : on résout une impasse scénaristique morale avec une situation qui devrait être triste (ici une rupture, plus haut la mort d’un personnage) mais qui apporte le salut des « vrais » héros par la grâce de l’hypocrisie. Quand des scénaristes cherchent une résolution morale, ils devraient s’attacher à ce qu’elle résulte des qualités des personnages plutôt que d’utiliser ces artifices dangereux. Que ce ne soit pas le malheur des uns qui fasse commodément le bonheur des autres.

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Je suis Thetchaff, créateur de fictions audio, majoritairement tourné vers le thriller. J'ai quelques histoires à vous raconter qui ne nécessiteront pas d'images, car le son s'avère être un outil bien assez puissant pour se suffire à lui-même.
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