Le bon cliffhanger et le mauvais cliffhanger

cliffhanger

Quand on produit une série, on n’a pas envie que les spectateurs l’abandonnent trop vite. La technique du cliffhanger est donc apparue pour les inciter à revenir : l’épisode prend fin alors que les héros sont en mauvaise posture, on veut savoir s’ils vont s’en sortir et comment ils vont faire, donc on attend la suite. C’est un élément scénaristique à l’utilité purement commerciale, à la base ça n’est pas fait pour rendre l’histoire meilleure. C’est pourtant un phénomène qui n’est jamais passé de mode et demeure relativement accepté par le public, voire apprécié. Il en devient même recherché, y compris par des créateurs de fictions amateurs, et je ne pense pas que ce soit systématiquement une démarche racoleuse. Il y a réellement une culture du cliffhanger et du fait de quitter une création avec l’envie frénétique d’avoir la suite. Ceux qui ont grandi avec l’intègrent donc tout naturellement dans leurs propres œuvres parce que c’est leur vision de la bonne façon d’achever un épisode. Cependant les utilisations ne se valent pas et certaines se montrent terriblement inappropriées.

Un cliffhanger a pour but de relancer l’intérêt du public, la frustration est un des moyens utilisés. La frustration est souvent perçue comme une mauvaise chose parce que c’est une émotion déplaisante comme la colère ou la tristesse, mais tout comme ces deux derniers sentiments cela peut se montrer bénéfique. On peut s’en servir pour valoriser le spectacle que l’on aura longtemps attendu, pour piéger le public ou pour lui faire ressentir ce que l’on veut. Le personnage est frustré ? Frustrons le public. C’est une utilisation honorable, mais elle peut se retourner contre l’auteur quand elle stoppe l’action au moment le plus inadapté.

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La patience est une vertu

Citons un exemple connu : la fin du 2e film de la trilogie du Hobbit et son enchaînement avec le 3e (attention spoilers). Ce qui lance l’aventure au centre de cette trilogie, c’est de récupérer le trésor des nains gardé par le dragon Smaug. C’est le McGuffin de la trilogie, Smaug est la dernière épreuve des héros que l’on anticipe dès le début du premier film. Tout mène à cet affrontement qui clôt le voyage sur lequel reposent les films, il était donc logique qu’il constitue un climax. Mais Peter Jackson a commis l’affreuse erreur d’interrompre ce climax en plein milieu pour ne le reprendre qu’à la sortie du 3e film, un an plus tard. Certains soutiennent que La Désolation de Smaug s’arrête à cet instant là parce que c’est précisément le moment où le parcours des personnages prend une tournure tragique et que la naïveté initiale disparaît, mais cela casse tout l’élan qui était instauré et nous donne l’impression d’avoir été éjecté avant la fin. Un an de pause entre des événements qui s’enchaînent, c’est trop long. Une série aurait peut-être pu se permettre une coupure aussi brutale s’il avait suffit d’une semaine pour avoir la fin, mais pas Le Hobbit.

Cette cassure rythmique monumentale de 12 mois est déjà un gros problème, nous privant de surcroît d’une fin digne de ce nom pour La Désolation de Smaug. Mais le pire est à venir : ce qui aurait dû être la conclusion épique de ce trajet, à savoir la victoire contre le dragon que l’on poursuit depuis le début, se trouve relégué dans la suite à une simple scène d’introduction. Car ce que nous a vendu la campagne promotionnelle du 3e film n’est pas la conclusion attendue de l’arc avec Smaug mais la bataille des 5 armées, annoncée dans son titre. Cela donne l’impression que l’on s’en fiche de Smaug, lui qui était pourtant le McGuffin initial. C’est une énorme faute car la bataille des 5 armées n’est pas ce vers quoi aurait du tendre la trilogie, elle n’est qu’une conséquence imprévue même si Peter Jackson essaie de nous faire croire le contraire en nous annonçant régulièrement que les méchants se préparent au combat. Cela annule toute l’intensité des enjeux présentés jusque là, sans pour autant construire quelque chose qui justifierait cette mise à l’écart de Smaug. Il aurait suffi de déplacer la victoire contre Smaug du début du 3e film vers la fin du 2e et le problème était résolu, le film aurait eu sa conclusion avec une ouverture vers de nouveaux objectifs.

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« Tiens, j’avais oublié que dans La Bataille des 5 Armées on a la conclusion de La Désolation de Smaug »

Ce cas est beaucoup trop fréquent à mon goût et déséquilibre les fictions qui en souffrent. On a ainsi des œuvres qui oublient de se terminer tandis que leur suite doit démarrer avec une introduction qui n’a rien à voir avec le reste en terme d’enjeux. Vous me direz qu’il y a pas mal de films qui choisissent de démarrer avec une scène d’action sans grand rapport avec la suite afin de commencer sur les chapeaux de roue, comme les James Bond ou le premier Indiana Jones. Mais ces manières de démarrer ont l’avantage de présenter les personnages dans l’action et d’indiquer la note d’intention du réalisateur. En somme, elles introduisent leur film au lieu de conclure un épisode antérieur sur le tard. Quand je lisais la BD Freaks’ Squeele j’attendais la résolution d’un cliffhanger dans un tome dont la couverture vendait un tout autre développement, ça me donnait l’impression que cette résolution appartenait déjà au passé (heureusement l’auteur a arrêté ça depuis).

Voici un contre-exemple connu qui fait quelque chose d’a priori similaire mais qui fonctionne bien mieux : la fin de Star Wars : l’empire contre-attaque (spoilers encore). Contrairement à l’épisode IV, cette fin n’est pas auto-suffisante (sisi, celle du IV l’est quasiment). On ne s’arrête pas sur une réussite mais sur un échec qui n’attend que d’être rectifié. On ne peut décemment pas rester sur la capture de Han Solo et la défaite de Luke. Mais contrairement à La Désolation de Smaug, le film ne se termine pas au milieu d’un événement et la suite ne reprend pas juste après comme si on avait coupé l’épisode V en deux. On a bien la fin d’un arc qui menait à une défaite, à la désillusion de Luke et à la prise de conscience du danger du côté obscur. Le film s’achève en nous laissant imaginer toutes les épreuves que devront surmonter les héros, à savoir maîtriser les pouvoirs de Luke, sauver Han, confronter Vador et vaincre l’empire. Mais tout cela fera l’objet d’une autre histoire tandis que celle de l’épisode V garde sa conclusion, évitant l’impression d’une coupure pub. Ce semi-cliffhanger constitue donc une ouverture vers la suite tout à fait respectueuse et efficace.

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Contemplez l’immensité de la tâche qui vous attend

Il y a un autre type de cliffhanger qui interrompt brutalement l’épisode sans pour autant laisser les personnages dans une mauvaise passe. C’est le cliffhanger qui repose sur une révélation ou un mystère qui remet la situation en perspective. On sort de l’épisode en se posant des questions et en ayant envie de forger des théories sur ce que cela signifie ou ce que cela implique. Non seulement ce genre de fin laisse une impression forte au public, mais elle le rend actif jusqu’à la prochaine sortie et alimente les discussions. On a à nouveau ce jeu sur la frustration des spectateurs qui doivent attendre pour avoir les réponses attendues. C’est plutôt utilisé dans les séries, dont les épisodes n’ont pas la même contrainte de se terminer « proprement » puisqu’ils doivent former un tout, et que la suite peut sortir rapidement selon les cas. Il y a par exemple l’excellente saga mp3 La Légende de Xantah, spin-off d’Adoprixtoxis, qui fonctionne souvent sur ce système et le fait très bien. On peut quelques fois trouver cette méthode pour des films, mais il convient alors de trouver une forme de conclusion avant d’ajouter ce teasing. Le 2e volet de Pirates des Caraïbes le fait : il s’agit d’une fin plus ou moins similaire à celle de Star Wars V, à laquelle on ajoute l’apparition inopinée d’un élément mystérieux qui soulève pas mal d’interrogations et augure d’une suite plaisante. J’exclus toutefois le teasing trop hors-sujet, ceux des scènes post-générique façon Avengers qui n’annoncent pas une continuité au film présenté mais font la promotion d’une toute nouvelle production.

Un cliffhanger peut servir son support en faisant réagir le public, comme il peut le gâcher en saccageant sa structure ou en exprimant une démarche mercantile digne d’un placement produit sans discrétion. Ce procédé a été originellement mis en place pour des raisons commerciales et non pour le bien du spectateur, puis il a été repris par habitude par des créateurs qui ne se sont pas toujours posé la question de sa pertinence. Il pourrait ne constituer qu’un boulet, ne tenant qu’à une nostalgie dénuée de remise en question. Mais quand il est utilisé avec intelligence il peut enrichir l’après-séance, amenant le public à continuer de réfléchir au sujet de l’œuvre au lieu de l’oublier progressivement. C’est comme tout : il n’y a pas de problème à utiliser cet élément scénaristique quand on sait pourquoi on veut le faire et qu’on l’intègre avec cohérence.

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Je suis Thetchaff, créateur de fictions audio, majoritairement tourné vers le thriller. J'ai quelques histoires à vous raconter qui ne nécessiteront pas d'images, car le son s'avère être un outil bien assez puissant pour se suffire à lui-même.
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