« Regardez moi, je suis fou ! »
Un cliché de podcast vidéo récurrent consiste à faire parler le vidéaste avec lui-même. C’est pratique parce qu’on économise des acteurs, on peut jouer tout le monde soi-même. Puis certains se sont amusés à poursuivre le procédé jusqu’à l’absurde en le justifiant, en faisant comme si c’était parfaitement voulu. Ces vidéastes ont ainsi présenté leur personnage comme un « fou » qui discute avec ses multiples personnalités. C’était souvent dans un esprit cartoonesque et assez rigolo, mais ça s’est beaucoup répandu. Et comme tout phénomène qui est repris en masse à la hâte, cela s’est fait parfois sans recul. C’est ainsi qu’on trouve des histoires où le personnage sort que « c’est trop cool d’être fou ! ». Je pense que les victimes de maladies mentales ne sont pas d’accord avec cette affirmation. C’est là que je me dis qu’il pourrait être intéressant de s’interroger sur la figure du fou charismatique dans la fiction.
En voyant la photo de ce brave Bruce Campbell issue de Evil Dead 2 juste en dessous de mon titre parlant de folie, vous avez dû vous dire qu’il représentait bien ce cliché. Et pourtant Ash n’est absolument pas victime de maladie mentale. Il pète un câble dans la scène d’où est tiré ce screenshot, mais il se remet bien vite. C’est une scène cartoonesque où la maison hantée se met à partir en vrille et Ash réagit avec le même excès, mais c’est davantage de la mise en scène que de la folie. On ne voit pas quelqu’un qui a perdu la tête, juste quelqu’un qui réagit au n’importe quoi par du n’importe quoi. Vu le ton humoristique de Evil Dead 2, c’est cohérent. Là où c’est moins cohérent, c’est quand certains confondent ça avec de la vraie folie.
Le voilà le représentant le plus connu, celui dont tous les « fous qui ont trop la classe » s’inspirent. Le Joker est l’un des méchants les plus connus et appréciés, pas étonnant que tout le monde ait envie de jouer ou de faire apparaître son Joker. Sauf que peu le comprennent vraiment. Tous les mauvais clones du Joker ont un point commun : leur méchant se marre comme un dément. Parce que c’est trop cool de se marrer comme ça, ça donne l’impression d’être supérieur aux autres et d’être imprévisible. Ce cliché là date probablement d’avant le Joker, mais ce dernier l’a quand même bien démocratisé. Sauf qu’il faudrait quand même se poser cette question essentielle : pourquoi il rigole tout seul le monsieur ? Il a pas l’air un peu con ? Ben si justement, pour la plupart des clones. Il n’y a rien de drôle mais il rigole quand même de façon forcée pour faire son m’as-tu-vu. « Mouhahah, je suis tellement complexe que j’embarrasse tout le monde avec des réactions que personne ne comprend ! Chuis trop mad t’as vu ? » Du coup c’est ridicule. Alors que le « vrai » Joker n’est pas ridicule. Pourquoi ? Parce qu’il a une bonne raison de rire, et ce n’est pas juste de faire genre qu’il a compris la blague de ce monde absurde comme le Comédien de Watchmen.
C’est un clown.
C’est sa fonction de faire rire. Alors il fait des blagues et il se marre parce que c’est ce à quoi il aspire. Là où se manifeste sa folie c’est qu’il a perdu tout sens des réalités. C’est la façon la plus commune de caractériser cet état, et c’est pourtant ce que les clones du Joker ont fâcheusement tendance à oublier. Le Joker prépare des tours pour créer des situations cocasses, mais il n’a pas conscience des proportions de ses gags. Il a un humour très noir qu’il pousse beaucoup trop loin dans un soucis de spectacle absurde, et c’est en cela qu’il a perdu la raison.
Le monsieur que vous voyez dans l’image ci-dessus et qui vous hurle « Respecte moi, il y a marqué Damaged sur mon front ! », ce n’est pas une personne atteinte de maladie mentale. Ni lui ni la Harley Quinn du film Suicide Squad (et même dans les comics que j’ai lus cette dernière est loin d’être mentalement atteinte). Ils se vantent d’être fous mais la folie n’est absolument pas une qualité, ce n’est pas un synonyme pour « audacieux ». C’est le fait de ne plus distinguer le réel, et ce n’est pas quelque chose dont souffrent ces personnages qui sont simplement « foufous » au sens d’excentriques. D’ailleurs ce Joker là n’est même plus un clown, c’est devenu un punk qui se marre pour se donner un genre.
Je nuance la fin de mon billet en signalant qu’un personnage qui rit comme un « cinglé » sans être le Clown n’est pas nécessairement un problème. Je vous ai introduit avec la tête hallucinée de Bruce Campbell : tant qu’on ne fait pas passer cela pour le résultat d’une déficience mentale, je m’amuse bien de ce genre de débordement rigolo, comme lorsqu’on voit une comédie avec Louis de Funès qui s’énèrve. Un film où un personnage a une crise de rire parce qu’il a subi plus qu’il ne le pouvait, c’est tout à fait faisable. Ce qui me dérange le plus c’est lorsqu’on fait passer ce handicap pour quelque chose de cool. Une personne qui se démarque et qui a du bagou, dans le respect des autres, est cool. Un handicap n’est jamais cool. Et les génocidaires ne passaient pas leur temps à ricaner pour impressionner les convives.